
« La télé va rester notre cœur de métier.»
Satellifax Magazine : Où en êtes-vous depuis le rachat des activités de téléachat de TF1, courant 2019, puis decellesdeM6, en octobre 2020 ?
Jérôme Dillard : On est en pleine phase de regroupement des activités de Téléshopping et Home Shopping Service dans les locaux d’AMP à La Plaine Saint-Denis. Au lieu d’avoir, à l’année,des studios qui ne sont utilisés que la moitié du temps, nous transformons le studio de Téléshopping pour qu’il accueille, à partir de la fin du premier semestre, Téléshopping et M6
Boutique, dont le studio est aujourd’hui à Rungis. Le regroupement va permettre de dégager des économies d’échelle. Les émissions pourront aussi bénéficier de moyens auxquels elles n’avaient pas accès séparément. Chacune gardera son caractère, son décor et ses animateurs, c’est-à-dire tous les éléments qui ont permis de constituer, au fil des ans, leur base de téléspectateurs.
L’e-commerce a connu une forte croissance en 2020. Le télé achaten a-t-il bénéficié ?
JD : Les activités se portent plutôt bien et affichent une croissance à un chiffre en 2020. Le confinement et le télétravail ont fait venir un public nouveau. Toute la croissance que l’on a connue au printemps 2020 était plutôt sur des cibles de jeunes, d’actifs, d’hommes et d’urbains. Chez M6 Boutique, les produits de fitness comme les walk machines ou les rameurs ont connu un grand succès et ont poussé le panier moyen à la hausse.
Le public traditionnel a-t-il évolué?
JD : Le téléachat n’est pas destiné à un public en particulier. Par sa capacité à apporter des solutions aux petits problèmes du quotidien grâce à l’innovation et à l’image animée, il attire les gens qui sont devant la télé au moment des émissions. Les téléspectateurs ont, depuis toujours, le même âge moyen que le public de la télé - autour de50 ans-, avec un profil lié à la diffusion le matin en semaine : plutôt des femmes, qui habitent des petites villes ou en banlieue plutôt que dans les grands centres urbains. Pour autant, les quinquagénaires d’aujourd’hui ne sont pas du tout ceux d’il y a quinze ans. Pendant toute leur vie professionnelle, ils ont utilisé la technologie, ils sont équipés de smartphones, de tablettes... La source principale d’intérêt passe toujours par l’émission du matin, mais les acheteurs se rendent ensuite à leur convenance sur le site ou au téléphone pour commander. Le chiffre d’affaires des deux activités sur M6 et TF1 se fait aux deux tiers sur internet, et trois quarts des visites des sites viennent du mobile.
La montée en puissance du mobile amène-t-elle à faire évoluer vos propositions ?
JD : Les évolutions viennent surtout de la nécessité de s’adapter en permanence pour faciliter le parcours client, comme pour n’importe quel e-commerçant. Il faut donc proposer un site responsive, adapté à toutes les spécificités des mobiles, la capacité à stocker sa carte de crédit... Tout ce qui rend le parcours plus agréable et fluide va dans le sens de l’avenir ou, inversement, nous rend potentiellement obsolètes.
Depuis que TF1 et M6 ne sont plus propriétaires de leurs activités de téléachat, quel est votre statut vis à-vis de ces diffuseurs ? La cession ne fragilise-t-elle pas la place de vos programmes sur leurs antennes ?
JD : Nous avons un statut de producteur de télévision. TF1 avait accepté de faire avec des contrats sur une durée de cinq ans, plus longue que celles que les diffuseurs accordent, pa rexemple ,à un producteur de flux, afin de tenir compte des moyens permanents et des coûts de structure que cela nécessite d’engager. Avec M6, les contrats s’inscrivent aussi
dans la durée. L’audience quotidienne des émissions n’est pas très élevée mais, tant sur TF1 que sur M6, plus de 25 millions de Français ont vu l’émission au moins une fois dans une année. Ces émissions s’inscrivent donc dans la vie quotidienne des gens, mais chacun n’en a pas forcément une consommation quotidienne.
Comment s’organise la stratégie de diffusion entreles chaînes de chaque groupe ?
JD : Dans une logique de complémentarité, M6 Boutique est aussi diffusée sur W9, 6ter, Paris Première et Téva. Sur W9, l’émission est programmée le samedi quand elle n’est pas proposée sur M6. 6ter la diffuse le samedi etle dimanche, au moment où les actifs sont chez eux. Le week-end est devenu une part importante de l’activité, car il permet d’élargir la clientèle. Historiquement, Téléshopping n’est que sur TF1 car, quand le groupe a racheté TMC et TFX, ces chaînes proposaient déjà du « téléachat américain » - des « infomercials » au format long -, que nous réalisons également via Euroshopping.
Sur la TNT : «Je ne cesserai de militer pour une chaîne faite par les Français pour le marché français et pour exposer les PME françaises.
Seriez-vous toujours candidat à une fréquence TNT si un nouvel appel à candidatures devait être lancé ?
JD: Je continue à penser qu’une chaîne de téléachat manque sur la TNT. Je ne cesserai donc de militer pour l’arrivée d’une telle chaîne faite parles Français pour le marché français et pour exposer les PME françaises. Peut-être qu’au prochain appel à candidatures, nous aurons plus de chance...
Le téléachat en canal plein, c’est pourtant assez difficile. Les chaînes QVC et M6 Boutique ont cessé d’émettre en 2019 et 2020... JD Je n’ai pas l’intention de relancer une chaîne uniquement en ADSL ou sur le câble! Quand ces chaînes émettaient sur le paysage de complément, leur numérotation était absolument prohibitive pour qu’elles rencontrent le succès. Si je m’y intéresse sur la TNT, c’est justement à cause de la numérotation, qui permet au téléspectateur de passer devant régulièrement, un peu comme devant un magasin.
La modernisation de la plateforme avec des services en HbbTV ouvre-t-elle des opportunités susceptibles de vous intéresser ?
JD : II y a environ cinq ans, nous avions implémenté cette norme pour permettre aux clients de Téléshopping et de Home Shopping Service de passer commande directement avec leur télécommande. Il y avait à l’époque des limites à l’expérimentation : le parc installé de téléviseurs capables d’accéder à internet était moins important qu’aujourd’hui, et
les gens n’avaient pas tous conscience que leur téléviseur était connectable par un autre moyen que la box. L’éducation du consommateur n’est pas encore totalement achevée, et l’usage du HbbTV n’est pas très répandu, mais cette norme ne demande qu’à se développer. Même si les enjeux informatiques sont assez lourds et complexes, cela fait partie des développements auxquels je pense. La première expérimentation avait rencontré un succès d’estime, mais cela ne veut pas dire que, plus tard et avec des habitudes qui auront évolué, il ne serait pas intéressant de recommencer.
Les jeunes marques ont de plus en plus recours aux marketplaces pour se lancer dans l’e-commerce. Vos émissions sont-elles une alternative?
JD: Historiquement, les deux entreprises exposent les produits des PME. Les grandes marques n’ont pas tellement besoinde nous car, au travers de leurs circuits de distribution et de leur force de frappe en communication, elles sont capables de créer la demande. La nature même de notre activité consiste à exposer des produits qui n’ont pas accès aux circuits de distribution. Au téléachat, on ne leur demande pas de budget de publicité. Ceux qui rencontrent le succès - il faut reconnaître qu’il y a beaucoup plus d’appelés que d’élus- sont presque tous issus de petites sociétés. Le fabricant vend et se construit une notoriété qui lui permettra, ensuite, d’aller dans d’autres circuits de distribution avec un début de notoriété. GS27, qui a inventé des produits pour protéger les carrosseries et les cuirs des voitures, s’est lancé en téléachat sur M6, et on retrouve aujourd’hui ses produits dans beaucoup de magasins d’accessoires pour auto.
Le live shopping, qui permet aux marques de présenter et de vendre leurs produits via une vidéo en live sur les réseaux sociaux ou leur site, est une autre tendance du commerce en ligne.
Cela pourrait-il représenter une opportunité de diversification ?
JD : C’est un sujet qu’on regarde. Pour l’instant, j’ai plutôt l’impression que l’on a plutôt affaire à une forme d’animation de la marque qu’à un moyen de faire du volume. Quand on a fait ce type d’expérience sur Téléshopping avec des ventes de produits sur Facebook- dès la fin 2016,avec un parapluie inversé-,
ce n’est pas tellement le live qui a fait du volume, mais plutôt les rediffusions. Comme si les utilisateurs de cette plateforme étaient directement passés au replay. Là encore, ce n’est pas parce que cela démarre lentement que cela ne va pas marcher plus tard. L’écriture est un peu différente, car il n’y a pas de son tant que l’utilisateur ne l’a pas activé. Et on ne bénéficie pas de la même capacité à réunir un public que celle qu’apporte une diffusion sur des grandes chaînes.
Vous inaugurez, dans Téléshopping, une collection capsule textile lancée autour de Marie-Ange Nardi. Est-on dans une nouvelle forme d’endorsement ?
JD : Cette idée, que j’ai trouvé excellente - et qui est une nouveauté pour Téléshopping-, vient de Marie-Ange. Compte tenu de l’implication qu’elle y a mise et du travail réalisé avec une styliste, cela va beaucoup plus loin que l’endorsement. Il faudrait plutôt parler de cocréation. C’est une première expérience avec des quantités limitées. Si c’est un succès, la collection continuera de grandir et d’être diffusée plus largement.
Si on parle un peu d’avenir, comment comptez-vous séduire la « génération Vinted » ?
JD: Nous avons peu de clients de moins de35 ans. En partie parce qu’ils ne sont pas devant la télé quand nous diffusons nos programmes, mais surtout parce
que la proposition du téléachat s’inscrit dans un cycle de vie. Nos produits s’adressent à une audience déjà installée dans la vie, avec une maison, des enfants... Néanmoins, les spécificités de cette génération qui a pris l’habitude d’acheter des produits d’occasion finiront par nous toucher, car le jour où elle serai intéressée, elle gardera des réflexes qui correspondent à ses habitudes d’achat. A côté du neuf, le site M6 Boutique propose déjà des produits qui ont été retournés par les clients et réparés. Le robot CompactCook existe, par exemple, en versions « neuf » ou « occasion».
Comment voyez-vous évoluer votre métier, si vous vous projetez par exemple à trois ou à cinq ans?
JD : Ma toute première conviction, qui fait d’ailleurs que je me suis intéressé à ces activités, c’est que je suis absolument certain que la télé n’est pas morte et va rester notre cœur de métier. Comme tous les autres producteurs de télévision, c’est à nous de nous adapter aux évolutions de la consommation et des habitudes des téléspectateurs. La proposition du téléachat peut se décliner sur d’autres médias, notamment sur les réseaux sociaux, sur une chaîne 24h/24.On continuera donc à tester tous les nouveaux médias qui se présentent en attendant qu’ils arrivent à faire du volume.
Propos recueillis par Christine Monfort